Ces dernières années, nous avons d'abord dû accepter souvent de passer une "belle" journée, voire de "belles" fêtes ou vacances quand l'occasion s'y prêtait. On nous a aussi fréquemment enjoint d'admirer telle ou telle "belle personne", qui était rarement un top model, mais parfois une chic fille ou un brave garçon. Voici que cette tyrannie de la beauté en tant qu'épithète ultime s'étend aux humbles compagnons de notre vie domestique. Promus par le vocable "beaux objets" , pas un couteau économe à manche de bois ou un beurrier en grès n'échappe désormais à cet anoblissement express... Nos amis de M , le magazine du Monde, nous livrent ainsi chaque semaine , à la rubrique " Objet Trouvé", des goupillons en poil de chèvre inchangés depuis les années 30 ou de parfaites carafes en polycarbonate 1970, à classer d'urgence au patrimoine mondial ménager. Sur certaines e-boutiques vraiment pointues , comme le site Bien Fait, dédié aux "objets pour la vie", c'est un festival étourdissant d'écumoires et de pelles à poussières sublimes, mais aussi, moins galvaudés, de somptueux cure-oreilles en bambou ou épluche-oranges en corne. Chacun de ses oiseaux rares pose en majesté et nous donne à lire son pedigree irréprochable. Y figurent forcément une fabrique familiale française, anglaise ou allemande -la Deutsche Qualität d'avant les tripatouillages Volkswagen - et des matériaux rétro pré-PVC ...
L'obsession qui sous-tend cette quête de l'artefact idéal n'est visiblement pas celle du seul made in France ou Europe : tout va, du moment que ce n'est pas fait en Asie , Japon et Corée du Sud mis à part, bien sûr... Le ressort serait plutôt le made by une longue lignée d'artisans ou de petits industriels sérieux, valeureux acteurs d'une Europe encore industrieuse, snif. Un brin angoissés par un futur mondialisé et immatériel, on veut que les objets qui nous restent aient une "belle" histoire avant de rentrer dans la nôtre, c'est humain. Et peut être un poil pétainiste, mais bon, on s'emporte sans doute…
Pourquoi se moquer de ce qui semble plutôt vertueux ? Se calmer sur les gadgets voraces en CO2 et vite inutiles (comme ce pèle-ail en silicone foireux), quoi de plus honorable? Sauf que cette aspiration à la décroissance smart a aussi ses ridicules qui reviennent finalement au même : la tapette à mouches qui assomme les bestioles sans les tuer, vue aussi à la Trésorerie, concept-store voué à l'objet "beau, utile et respectueux" , est certes magnifique. Et inusable. De là à la trouver indispensable ... Quant à cette "époussette de poche", " légende centenaire " de chez Andrée Jardin, brosserie mythique établie depuis 1947, son usage possible dans la vraie vie laisse rêveur...
Photo : Andrée Jardin