Pourquoi on nous attrape avec du vinaigre ?

La première fois que le Futiloscope a croisé un « shrub » (prononcer "chreub"), c’était l’an dernier au Cravan, le QG du tout South Auteuil. Une étonnante boisson à la figue, sans alcool, pétillante, épicée et acidulée, a débarqué sur sa table. Quelques jours plus tard, le mot-mystère reparaissait au Joséphine, le bar du Lutetia. Un intrigant « shrub aux agrumes et au céleri » agrémentait cette fois…un cocktail bien chargé en vodka. Et puis…plus rien ! Pas grave, on avait d’autres trends à fouetter.

Depuis, Le Futiloscope canal Amérique a siroté du shrub (au coing et à l’anis étoilé) au London Plane,  restau/fleuriste/concept-store pointu de Seattle. Ainsi qu’au coffee-shop de la très hype Marfa, petite ville texane dédiée à l’art contemporain . À New-York, il a découvert que Russ & Daughters, le plus coté des vendeurs de saumon et de bagels, en vendait depuis 1913 ! Ou que ces petites bouteilles de « drinking vinegars » , qui envahissent depuis peu son supermarché préféré, c’était en fait…du shrub, encore lui !

Reprenons. Le mot désigne une antique méthode de conservation, en vogue en Angleterre et aux Etats-Unis, du 17ème siècle à l’invention du réfrigérateur. C’est un mélange de purée de fruits, de sucre et de vinaigre (d'où son autre nom , "drinking vinegar"). Mais on peut aussi utiliser des légumes (betterave,fenouil…), des fleurs (lavande, sureau…), des épices, des herbes (romarin, basilic…); jouer sur l’acidité (c’est plus vif avec du vinaigre de cidre, plus «liquoreux » avec du balsamique). On laisse infuser une semaine au frigo, ou –plus rapide- on chauffe le mélange (mode d'emploi ici).

Des tas d’ingrédients qui se combinent à l’infini ? Ça plait aux mixologistes, bien sûr! Ils glissent du shrub dans les cocktails. Mais s’en servent surtout pour acidifier (ça remplace les agrumes) leurs créations « spirit-free », que réclament désormais les « néo-abstinents ». A Paris, Margaux Lecarpentier, chez Combat, adore travailler les shrubs, indiquait récemment Le Monde. Ils coulent aussi à flot à Londres, où les nouveaux adeptes du « sober is sexy » sont légion.

En fait, cet ex-breuvage vintage s'est réincarné…en concentré de tendances 2019. Car le shrub n'est autre que l'équivalent liquide des pickles ! Comme eux, il est « no waste », champion de recyclage des fruits abimés, et se conserve des mois. Allongé d’eau gazeuse, il est aussi super healthy. Le vinaigre, bourré d’enzymes detox, tueur de bactéries, serait même capable , selon certaines études, de réguler l’appétit. Pas étonnant que le shrub détrône les « eaux de fruits » dans leurs Mason Jars. Ou qu’il fasse de l’ombre au kombucha, autre boisson à bulles fermentée prétendument miracle.

Aux Etats-Unis, plein de petits fabricants s’y mettent, façon micro-brasseries. On se serait bien laissé tenter par celui-ci, made in Kansas City, à la pastèque et au piment habanero. Mais on vient d’en commander une flopée à une ferme bio de Pennsylvanie. En France ? Hélas, pas (encore) de fournisseur répertorié. Mais le faire maison, c’est enfantin ! Et puis, pensez à votre moment de gloire au marché cet été, en achetant une cagette d'abricots fatigués (« C’est pour une compote ? » « Non, c’est pour un shrub ! »). Ou au plaisir que vous aurez à servir …euh, du Spreutz ? (du Shritz ? ) à vos invités ébahis. Le Futiloscope a testé : avec du Prosecco et de la SanPé, ça marche aussi !